Aujourd’hui en France, quelque 11 millions d’aidants familiaux soutiennent régulièrement un proche malade et/ou dépendant. A l’occasion de la 12ème édition de la Journée nationale des aidants – consacrée cette année à l’isolement social -, Grand-Mercredi a rencontré des professionnels du secteur, rompus aux difficultés rencontrées sur le terrain par ces proches dévoués. Tous sont unanimes sur un point : un aidant doit (aussi) penser à lui.
Lessivés, à bout de forces, à la limite même de l’épuisement : pas une semaine ne s’écoule sans que Judith Mollard-Palacio, psychologue clinicienne à l’Association France Alzheimer, ne reçoive en consultation des aidants brutalement démunis. Des fils, des filles, des frères, des maris, qui s’engagent dans cette voie au détriment parfois de leur propre santé physique et morale. « Avec Alzheimer, nous avons affaire à des gens qui donnent de leur temps à un proche atteint d’une maladie neuro-évolutive, avec une pathologie sur dix à quinze ans, et dont les besoins sont de plus en plus importants alors même qu’il existe une perte d’autonomie croissante, détaille la spécialiste. Une véritable course de fond, au cours de laquelle il faut savoir se ménager ».
En effet, à trop s’occuper de l’autre, on s’oublie soi-même. Loisirs, repos, temps familial … : « les besoins les plus vitaux » passent à la trappe. Or, souligne Judith Mollard-Palacio, être bel et bien présent pour son proche suppose un minimum d’équilibre. Dans neuf cas sur dix, la personne aidée est un membre de la famille ; en outre, 57% des aidants sont des femmes, pour la plupart encore actives. « L’épuisement des aidants vient de la volonté qu’ils ont à être partout à la fois et pour tout le monde, détaille Marie-Christine Gazal, animatrice dans le Cantal d’une plateforme d’accompagnement pour les aidants familiaux (UDAF). Ils doivent bien souvent gérer un couple, un métier, les soins d’un proche. Ils veulent faire le maximum…sans plus connaître aucune limite ».
Réussir à dire « stop » est donc un premier pas. « S’obliger à faire une pause, se ménager des espaces pour se ressourcer, et laisser tomber cette posture du héros qui pense pouvoir tout porter à bout de bras, c’est important », insiste Judith Mollard-Palacio. Important pour soi comme pour les autres branches de la sphère familiale, qui peuvent elles aussi pâtir de l’absence de l’aidant ou se sentir délaissées, comme par exemple les enfants. « Prendre de la distance ne peut qu’améliorer la relation d’aide », renchérit pour sa part Marie-Christine Gazal.
De même, chaque aidant doit pouvoir être en mesure de passer le relais à une tierce personne. Prendre en compte le besoin de son parent ne veut pas dire qu’on est le seul à pouvoir y répondre. Cette acceptation peut passer par la mise en place d’une auxiliaire de vie, notamment. « Une aide trop fusionnelle ou exclusive génère de la fatigue chez tout le monde, l’aidant comme l’aidé, et les place dans une bulle d’isolement néfaste », témoigne l’écoutante, qui a mis en place avec son équipe un « service de répit » permettant de décharger les aidants sur plusieurs demi-journées.
Enfin, pour résoudre les nombreux conflits de loyauté dans lesquels entrent fréquemment les aidants – « Il / elle a été là pour moi, je ne peux pas l’abandonner » ou « Je lui avais promis que je serais toujours là » -, la meilleure parade demeure encore la parole. « Les aidants n’ont pas tous la même propension à se mettre en quête d’une écoute, note la psychologue de l’Association France Alzheimer. Obtenir des conseils, des préconisations, ou simplement s’exprimer librement sur son quotidien d’aidant familial est pourtant éminemment salutaire ». Les groupes de parole instaurés un peu partout en France par les associations ou les établissements de soins y contribuent la plupart du temps, renforçant par là-même le cheminement de l’aidant vers plus de sérénité. Les observateurs s’accordent néanmoins à dire que la route reste encore longue jusqu’à une réelle reconnaissance du statut d’aidant, susceptible de leur ouvrir les portes de structures d’accompagnement encore plus adaptées. France Alzheimer, pour sa part, a d’ores et déjà mis en place des modules de formation gratuits qui leur sont destinés, où qu’ils se trouvent. « Il faut cesser de croire que parce qu’on est aidant familial on va forcément savoir faire, souligne Judith Mollard-Palacio. Dans le cas d’Alzheimer comme dans d’autres, mieux on comprend la maladie, mieux on agit pour son proche ».